15.9.04

Sauna

« Sauna libertin » : l’appellation me fait rire... mais c’est sans doute pour mieux cacher mes effrois... Parce qu’évidemment je n’ai jamais mis les pieds dans un tel lieu, ni celui là ni un autre, en dépit de mon hochement de tête affirmatif lorsque la souriante jeune femme de l’accueil nous a demandé si nous étions déjà venus. Nous sommes donc sensés connaître les règles du jeu. Lui les connaît. Moi non. Et je me tourmente l’esprit depuis que j’ai accepté de l’accompagner. Je commence par lui demander de me faire visiter les lieux. Il est encore tôt, et c’est presque désert : nous pouvons donc à loisir explorer chaque recoin du véritable labyrinthe offert à notre déambulation. Ce qui me frappe, c’est - a contrario des termes du dépliant publicitaire - la froideur des lieux, leur absence de luxe. La plupart des pièces ressemblent au cabinet d’un kiné ou à la salle d’attente d’un toubib, et les jacuzzis, hammams ou cabines de sauna à ceux de la plus banale des salles de gym. Tout est conçu pour être facilement nettoyé. Carrelages et sièges en skaï. Les écrans qui crachent des vidéos pornographiques rappellent cependant la tonalité du lieu, sa finalité. Et une observation plus minutieuse permet de constater qu’ici, on est sensé pouvoir réaliser tous ses fantasmes. Voir sans toucher, toucher ou être touché sans voir, s’offrir aux corps ou seulement aux regards, aux oreilles. Un frisson me parcourt : suis-je capable de participer à cette orgie de sexe, si loin de mes pratiques et de ma sensibilité ? Je suis déjà paralysée à l’idée d’ôter mon peignoir devant tout le monde pour me glisser dans le jacuzzi. Enfin, tout le monde, il ne faut rien exagérer : il n’y a que trois personnes qui marinent dans les bulles... mais j’ai l’impression qu’elles ont les yeux braqués sur moi. Mais je suis brave, et c’est d’un geste décidé que j’accroche le tissu éponge à la patère, déclenche la douche, et enjambe le rebord de la grande baignoire à remous.

L’effet des bulles est toujours relaxant. Fermer les yeux. Se laisser aller. Sursauter quand une main inconnue touche ma cuisse. M’esquiver en douceur avec un petit sourire crispé. Me retenir de gifler le malotru. Me mettre dans la tête qu’ici il n’est pas incongru, et que la plupart des gens sont là justement pour entrer en contact avec des corps inconnus... « Rencontres de qualité » disait le dépliant. Je rigole intérieurement. Est-ce que ce type à la barbe taillée courte, aux cheveux noir de corbeau, et qui peut-être à l’abri des regards sous l’eau qui bouillonne, bande déjà comme un âne est une rencontre de qualité ? J’aurais sans doute dû laisser ma main se faire une opinion avant de me dérober aussi lâchement ! Le dépliant dit aussi « réservé à une clientèle avertie »... et je ne suis pas très avertie j’en ai peur ! Le regard noir de l’éconduit me congèle, malgré la température de l’eau, et je fais signe à mon compagnon que je vais aller me réfugier dans la vapeur du hammam.

La cabine est vide. Je m’installe tranquillement, je respire, je transpire. J’ai toujours aimé les bains turcs, j’y ai d’ailleurs goûté en Turquie même, et mon esprit s’évade vers le marbre blanc du hammam de Bursa. La vieille masseuse au chignon gris, une simple serviette blanche enroulée sur les hanches, et ma tête coincée entre deux seins généreux, me pétrit le dos sans tendresse, mais avec efficacité. Ses mains expertes et vigoureuses dénouent toutes mes tensions, détendent un à un tous mes muscles, et me plongent dans la béatitude... Un gémissement me tire de ma torpeur, et j’ouvre les yeux. Pendant que je rêvais, trois personnages ont pris place sur les banquettes carrelées. Dans l’angle du fond, un homme d’âge mûr est adossé à la paroi. Sur ses genoux, la tête brune d’une femme, et un bras blanc qui bat la mesure, sans équivoque possible. Plus près de moi, un homme nettement plus jeune, au corps musclé, à la peau mate et luisante, agite sa main dans la toison de la femme, et c’est ça qui la fait gémir. Je retiens mon souffle et écarquille les yeux pour ne rien perdre de la scène. Mais je ne suis pas assez discrète, le plus âgé des deux hommes, un peu bedonnant, se lève pour actionner le générateur de vapeur. En quelques instants, le brouillard devient trop dense pour que je puisse discerner quoi que ce soit, mais il me semble pourtant, à mon grand étonnement, que le sexe du beau méditerranéen reste impassible au milieu de cette agitation... Je ne comprends décidément rien aux hommes... Mais derrière la porte vitrée, celui qui me sert ici de guide me fait signe et je le rejoins : il paraît que les lieux s’animent !

A l’entrée d’un salon aux murs tendus de rouge, un groupe agglutiné confirme qu’il y a bien là matière à regarder. Sur le grand canapé noir, une femme dont je ne vois pas le visage écarte les jambes pour s’offrir aux coups de boutoir d’un gaillard moustachu qui se donne de bon cœur. A côté d’elle, un grand jeune homme dégingandé offre tantôt à sa main, tantôt à sa bouche, une belle queue roide qu’elle manie sans ménagement. Lui se dandine d’arrière en avant. Elle branle et suce comme si elle n’avait rien eu à se mettre sous la dent depuis de longues semaines. Mon regard va de ce membre malmené à l’écran de télé qui surplombe la scène, où une jeune femme agite rythmiquement un gode dans un sexe à la toison soigneusement coupée, qui dessine deux bandes sombre aux contours impeccables, et puis finit par se fixer sur les personnages réels, nettement plus fascinants. Le jeune homme a pris la place du moustachu, et la femme l’encourage de la voix, le félicite et l’incite à y aller bien à fond... à moins qu’elle ne s’adresse à l’autre qui fourrage méthodiquement de la main entre les nymphes que j’imagine gorgées de désir et de sang. L’onde de plaisir se propage jusqu’à moi, éveille le creux de mon ventre. Mais le jeune homme lui reste impassible, du moins en apparence. Il fait religieusement son ouvrage, et son visage n’exprime aucune émotion. Pourtant, je sais qu’il a lâché son foutre, qu’il enferme avec précaution en ôtant son latex. Sans un mot, sans un cri, sans un soupir, sans un sourire. Il déroule un peu de sopalin, s’essuie le sexe et les mains, jette avec soin dans la poubelle l’essuie-tout, la capote et son emballage, avant de refermer son peignoir et de quitter la salle. Chapeau l’artiste ! Celui-là, tu peux le branler sous la table du restaurant le plus chic, personne n’en saura rien, sauf ta main trempée si tu l’as bien manœuvré.

Mais dans le canapé, ça s’agite encore, cette femme a l’air d’avoir de l’appétit. Quelques caresses, un coup de langue, et la voilà qui enfourche le sexe ragaillardi du moustachu. Elle nous fait face maintenant, et du regard provoque les spectateurs : « Vous voulez entrer ? » me demande-t-elle. « Merci, mais je crois que je suis encore trop timide ! » Un rire parcourt l’assistance, et je dois rougir un peu. Pauvre gourde! Il faut en plus que tu signales ton inexpérience ! Mais un autre jeune homme s’avance, le sexe déjà ganté, passe derrière elle, et sans autre préambule attrape ses hanches, attire à lui le joli cul pour la prendre en levrette. Le moustachu dépossédé ne bronche pas. Il doit être le mari, puisque lui la prend sans capote, et je me demande ce qui le motive à offrir ainsi son épouse en pâture. Beaucoup d’amour sans doute, pour vouloir qu’elle soit si bien comblée. Elle a repris sa sensuelle mélopée, et son nouveau partenaire ponctue de ahannements qui m’évoquent l’ambiance des courts de tennis. Les seins blancs de la femme s’agitent en rythme, et sa tête remue comme celle d’un cheval qui hennit. Est-ce que j’ai l’air aussi ridicule lorsque je suis dans la même posture ? Sûrement ! Heureusement, mon compagnon ne voit que mon dos et ma croupe. Il faudra que je pense à ne jamais me mettre en face de la glace de ma grande armoire. Sur l’écran vidéo, la brunette au sexe bien coiffé se fait lécher par la blonde, et agite ses seins elle aussi. Mais les siens, je suis sûre qu’ils sont siliconés, de pareils pamplemousses ne peuvent pas être naturels. Un soupir plus appuyé me ramène à la réalité. En voici un second qui a largué sa dose de sperme dans le capuchon. Celui-là s’essuie le front et tire sa révérence sans nous regarder, pendant que la femme reprend son souffle dans les bras de son homme, qui lui caresse le dos et lui baise les épaules.

Est-elle comblée ? Va-t-elle nous congédier, du regard ou du geste ? Que nenni ! Elle a déjà relevé la tête, et jette un coup d’œil circulaire aux prétendants potentiels. Personne ne bouge. Et je m’entends prononcer : « Allons, un petit effort, messieurs, vous n’allez pas laisser madame dans cet état ! » Je déclenche encore des rires... et je me demande pourquoi je ne peux pas me ligoter la langue ! Mais un troisième candidat s’approche. Je reconnais le beau méditerranéen du hammam, et sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, cette fois il bande comme un turc. Tant pis si je ferais mieux d’aller me cacher pour être si bavarde. Celui-là, je veux le voir à l’œuvre. C’est vraiment ce qu’on appelle un beau mec, sculpté dans le granit rose, avec des jambes qui n’en finissent pas, et le sexe à l’avenant. Belle tête avec ça, une coupe de cheveux nickel, et en plus, il me décoche un sourire lorsqu’il croise mon regard. C’est comme s’il me disait : « Je vais te montrer ma belle, tu ne vas pas être déçue. » D’un geste fluide, il enfile son préservatif, en profite pour mettre en valeur ses beaux attributs. On en mangerait presque... mais non, c’est vrai, le latex, c’est infect. D’ailleurs, il n’est pas là pour ça. Il est allé cueillir l’insatiable dans les bras du mari qui la lui tend généreusement. Il la retourne, l’empoigne sous les fesses, la soulève comme si c’était une plume, et l’empale sur son membre dressé comme une victoire. Dommage, le bel objet disparaît de ma vue. La femme l’a enlacé des jambes et des bras, et se laisse coulisser sur l’engin en gémissant, elle n’a plus de mots pour dire ce qu’elle sent. Je me demande combien de temps l’athlète pourra la manier de la sorte, il me semble qu’il n’en finit pas de faire saillir ses biceps. C’est peut-être pour m’impressionner davantage, car de temps en temps il me jette un coup d’œil en levant le menton. Je suis sûre que j’ai un sourire idiot. Mais je ne peux pas m’en détacher. Il finit tout de même par s’asseoir dans le fauteuil placé tout exprès derrière lui, sans cesser de besogner pour autant. Elle est à califourchon sur les belles cuisses, les doigts crispés sur les épaules musclées, bras tendus et la tête rejetée en arrière. Son gémissement se fait plus intense encore. Elle me fait frémir de la tête aux pieds. A moins que ce ne soit le profil parfait du méditerranéen. Je ne pense même plus à regarder ce qui se passe sur l’écran, tant je suis captivée. Le voilà maintenant qui la retourne encore, plaquant son dos à elle contre sa poitrine à lui. Elle s’accroche à son cou, lui s’accroche à ses seins, les presse dans ses paumes, les pétrit de ses doigts, roule les pointes brunes entre pouce et index, avant de plonger une main dans la toison qui luit doucement dans la lumière tamisée. Et là, je ne sais pas ce qu’il lui fait, mais il l’achève, son corps se met à vibrer et elle crie que c’est bon avant de se laisser aller contre lui, vaincue enfin. C’est encore le mari qui vient la récupérer, et qui l’emporte dans ses bras, telle une poupée de son, jambes et bras pendants. Les spectateurs pétrifiés s’écartent pour les laisser sortir. La fête est terminée, le beau brun se lève à son tour. Je rêve ou il vient de me balancer une œillade ? Mon sang ne fait qu’un tour. J’attrape la main de mon compagnon, et tourne les talons sans demander mon reste. A pas précipités je l’emmène vers le jacuzzi, dans lequel il n’y a plus personne, laisse tomber mon peignoir et lui arrache presque le sien avant de le pousser vers l’eau. Il me regarde d’un air surpris. Que croit-il ? Ce n’est pas tout de m’entraîner dans des endroits pareils, de me mettre dans de tels états, il faut assumer maintenant ! Mais l’homme que j’aime ne me fait jamais défaut, et je ne me demande pas si c’est ce qu’il vient de voir ou mon excitation perceptible qui l’ont mis en condition : il est prêt, c’est tout ce qui compte. Et c’est avec délice que je l’enfouis en moi, enfin. A mon tour de déguster cette belle turgescence, de l’étreindre, d’onduler de haut en bas, de me remplir. Je pourrais jouer à la balançoire tout le reste de la nuit sur cette queue préférée entre toutes, et dont la vue des autres ne fait qu’amplifier le désir. Celle-là est à moi, elle connaît mes secrets, mes plaisirs préférés, mes énervements et mes essoufflements, mes vibrations et mes tremblements. Je m’en donne à coeur joie, bouche collée à cette bouche aimée, langue gourmande, souffle goulu. Les yeux mi-clos, je n’ai plus besoin d’images, j’en suis repue. Seule compte cette vague sublime qui monte sourdement au creux de mon ventre, qui m’envahit lentement, me noie la poitrine, remplit ma gorge d’un sanglot. Les petites bulles coquines du bain bouillonnant se mettent de la partie, infiltrent mes replis les plus intimes, pétillent contre mon bourgeon en émoi. C’en est trop, j’explose, débordée par la vague, et moi qui ne sais que soupirer, je crois bien que je crie. Mais je me ressaisis : pour me combler tout à fait, il reste encore à saisir dans mon vagin trempé la divine petite secousse, à deviner la semence qui m’inonde, à recueillir l’ultime soupir de la bouche aimée, à sentir enfin les bras qui se referment et m’étreignent. J’en pleure de bonheur et me laisse bercer...

Quand j’ouvre les yeux, je m’aperçois que c’est moi qui viens de faire le spectacle. Mais ça m’est bien égal. La main dans celle de l’homme que j’aime, c’est triomphante et le sourire aux lèvres que je sors de l’eau...

Toulouse - Mai 2002


Tulip Dream est une photo d'hiromama

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Wow !

Helene est tu encore à Toulouse ?

Hélène a dit…

,-) bonne question !!

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