30.9.04

Chambre noire

A l’époque, j’étais pigiste dans un quotidien régional. Rubrique musique. Classique. Baroque, même, c’était ma spécialité. Rendre compte des concerts, interviewer Gustav Leonhardt ou Nella Unfuso, et les photographier avec un vieux Rolleiflex chiné dans une brocante. Je ne connais rien de mieux pour réussir un beau portrait en noir et blanc. Je venais faire mes tirages au labo du journal. Moi-même. Pour maîtriser le rendu, mais aussi pour le plaisir. Pendant que je préparais mes bains et choisissais mon papier dans les belles boîtes Ilford, Alain, l’un des photographes du labo, finissait ma pellicule en me prenant en photo, avant de la développer et de procéder au tirage de ses captures du jour. Le jeu, c’était de surprendre mes grimaces, et il y arrivait très bien : j’ai ce qu’on appelle un visage mobile où tout s’exprime. Je découvrais les images dans le révélateur, et je protestais à voix haute, pendant qu’il pouffait de rire, ravi de ses facéties.

Une après-midi où je venais développer une série des Saqueboutiers, j’eus la surprise de découvrir au milieu des musiciens un très joli portrait de moi. J’y arborais un air rêveur, mais une rêverie gaie, malicieuse même, et l’angle de vue, un léger trois-quarts gauche, me flattait. J’apostrophai Alain : « Ben qu’est-ce qui te prend ? Tu te mets à la photo d’art, maintenant ? Marre de ta collection de singes ? » Il affichait en effet ses trophées sur le mur du petit bureau qui jouxtait le labo, ce qui me valait régulièrement les quolibets des autres journalistes. Mais mes questions restèrent sans écho : lorsque je me retournai, je m’aperçus que le labo était vide, Alain était parti après avoir jeté son unique tirage dans le bac où je travaillais, sans passer mes photos à la glaceuse comme à l’accoutumée. Je levai les sourcils, lâchai un soupir, et démarrai la machine moi-même, lui confiant l’un après l’autre les tirages encore humides, y compris mon étonnant portrait. Je décidai de le garder pour moi, et le glissai dans mon petit cartable, avant de m’absorber dans l’observation critique des autres photos et d’en sélectionner deux ou trois pour le secrétaire de rédaction qui ferait l’ultime choix. Je quittai le journal sans avoir revu Alain, m’interrogeant vaguement sur son insolite comportement.

Je ne revins qu’une semaine plus tard, mais avec une moisson de choix, dont j’étais impatiente de découvrir le résultat : une série de portraits de Scott Ross, mon claveciniste préféré. Il s’était prêté de bonne grâce à la séance photo, après nous avoir régalés de ses fameuses interprétations des Sonates de Scarlatti. Alain était là, et je lui tendis machinalement mon boîtier comme j’avais coutume de le faire, avant de déposer mon manteau sur le dos d’une chaise, et de commencer mes préparatifs. Qu’allait-il déposer dans mon bac aujourd’hui ? Grimaces ? Sourires ? Je m’interrogeais en vain, et fus vaguement déçue de ne rien trouver au milieu de mes portraits d’artistes, en revanche très réussis. J’allais lancer une question ironique, quand j’aperçus l’air inhabituellement taciturne d’Alain, qui venait de lancer la glaceuse. Je me ravisai, et préférai lui demander de m’aider à sélectionner les tirages à transmettre à la rédaction. Il mit quelques instants à réagir. « Pardon ? Ah… oui, sympa tes photos ! C’est qui ce type ? Il a une bonne bouille, avec sa barbe rousse. » « Oui, j’aime assez aussi… mais ce n’est pas du gibier pour moi : il ne s’intéresse qu’aux hommes ! » « Gibier ? Tu en as un drôle de vocabulaire ! » Je laissai fuser un petit rire, mi-caustique, mi-gêné. « Façon de parler… Bon, lesquels choisit-on ? » Il étala la douzaine de tirages sur le bureau encombré, et se caressa pensivement le menton, avant de m’en désigner trois : « Celles-ci sont les plus réussies. » « Fais voir ? Oui, je crois que tu as raison. Je garde les autres pour ma collection perso, je te laisse classer les négatifs aux archives. » Je glissai les trois tirages dans une enveloppe bulle qui contenait déjà ma prose, et saluai Alain avant de filer à l’étage des rédacteurs pour livrer mon travail. Je ne comprenais rien aux sautes d’humeur du photographe, et m’en voulais un peu de ne pas avoir su lui proposer une oreille conciliante : il avait peut-être des soucis, besoin de se confier, ou au moins de sentir que son entourage percevait un malaise, et je n’avais rien su dire, que des sottises qui semblaient l’avoir un peu choqué. Certes, Alain était un garçon plutôt discret sur ses états d’âme, mais c’était un collègue à la fois très professionnel et très sympathique, et j’aurais sûrement du savoir lui tendre une perche… Je me promis d’être plus attentive lors de ma prochaine visite, et filai sans plus tarder : j’avais rendez-vous avec Xavier Darasse pour une visite commentée de l’orgue fraîchement restauré de St Pierre des Cuisines, et il n’était pas question de le faire attendre.

Je suis repassée le lendemain en fin de journée, une fois mon papier rédigé. « Tu arrives tard ! » remarque Alain « Je crois que je suis le dernier, j’étais sur le départ. » « Ouais, j’ai un peu ramé, sur ce papier. C’est technique, l’orgue ! Et Darasse me fait confiance, je n’ai pas intérêt à écrire n’importe quoi, sinon je me grille ! Désolée de te faire faire des heures sup’ » Pendant que je parle, Alain s’est emparé du Rollei, et s’apprête à l’armer. « Oh, ne te fatigue pas, j’ai fini tout le rouleau ! Pas de grimace aujourd’hui ! » et j’en profite traîtreusement pour lui tirer la langue. « Bon, tant pis. Je vais développer, prépare tes bacs, j’en ai pour dix minutes max. » Alain a déjà rangé tout le labo, mais c’est la règle du jeu : tant qu’on est là, on traite le travail au fil de l’eau. Dans un quotidien, pas question de se laisser déborder. Je prépare mes solutions, et choisis un papier un peu plus dur que d’habitude, pour bien mettre en valeur les détails de l’orgue. Alain vient de déposer les négatifs sur ma table, et je remarque qu’il pioche quelques feuilles dans une gradation plus appropriée au portrait, avant de s’installer à l’agrandisseur. Tiens, sans doute quelque surprise à prévoir dans le révélateur… mais je me demande bien quoi, puisqu’il n’a fait aucune prise de vues aujourd’hui. Je prépare à mon tour mes tirages. Bon, ce n’est pas trop mal, l’orgue se prête finalement plutôt bien au portrait noir et blanc. Alain attend que j’aie fini de fixer mes tirages avant de jeter une petite liasse de feuilles dans le bac voisin. « Mais, qu’est-ce que tout ça ? Attend, pas tout en même temps, ceux du dessous vont noircir avant que j’aie sorti les premier ! » « Je vais t’aider ! » dit-il en plongeant les mains dans le révélateur. Je le regarde caresser doucement le papier sous la surface liquide. «N’attends pas ! Prends la suivante ! » Je plonge à mon tour, tandis que les images montent doucement, me laissant interdite. Il y a là une petite dizaine de clichés. Moi. A différentes époques. Des photos que je n’ai jamais vues… de la même eau que le dernier tirage qu’il m’a laissée découvrir seule. Les plus belles photos de moi qu’on n’ait jamais faites. Je ne parviens plus à penser, et me contente d’exécuter machinalement les gestes techniques. Révéler, contrôler, fixer, déposer dans la corbeille de la glaceuse qui ronronne déjà, tandis que je reste hébétée, à regarder ces photos qui tombent les unes après les autres. Alain s’essuie les mains. Puis il les pose sur mes épaules en se campant derrière moi. « Alors ? Tu ne les sèches pas ? » Je sursaute, et, toujours aussi machinalement, insère les tirages entre les deux cylindres qui tournent régulièrement. « Tu es très jolie, tu ne trouves pas ? » murmure Alain dans mon oreille. Ses mains glissent très doucement le long de mes bras. Je frissonne, sans savoir quoi dire ni quoi faire, le regard captivé par ces photos dont je ne soupçonnais pas l’existence, et l’esprit en déroute. « Tu as froid ? » dit-il en m’attirant doucement contre lui. Son souffle est tiède dans ma nuque, sa voix de velours à mon oreille, ses mains de soie sur les miennes. Je me sens basculer dans un étrange état. Il me semble que je devrais réagir, dire ou faire quelque chose, mais tout en moi est paralysé… et je trouve cette sorte d’anesthésie très douce. La glaceuse a avalé le dernier tirage et je l’arrête. Je ferme les yeux pour me soustraire aux images, et me laisser aller contre cette poitrine accueillante, cette épaule moelleuse sous ma tête bourdonnante. Ses mains caressent les miennes, allument de délicieuses flammèches à l’intérieur de mes poignets, révèlent des zones sensibles à l’intérieur de mes paumes, entre mes phalanges, comme elles ont fait monter les images sur le papier quelques minutes auparavant, avec la même délicatesse et la même habileté. La caresse dure longtemps. Sa chaleur m’envahit peu à peu, et je n’ai pas envie de m’y soustraire.

Quand il abandonne mes mains pour glisser les siennes sous mon pull, je réprime à grand peine un petit cri pâmé, et m’accroche à son cou. Ses cheveux sont coupés de frais, juste courts comme il faut pour se redresser sous la main qui remonte le long de la nuque, exactement comme j’aime. Je laisse mes doigts découvrir le crâne rond, la peau lisse et sensible entre l’oreille et la racine des cheveux. Je perçois tout son corps attentif, concentré sur mes moindres gestes, avec une surprenante acuité, et je ne me demande plus ce que je devrais faire : je le fais. Quant il relève mon pull au dessus de mes seins, je chuchote : « Peut-être devrions-nous fermer la porte à clef ? Je crois que je n’aimerais pas être interrompue. » Je sens qu’il sourit dans la pénombre – à cette heure tardive, il y a peu de risque - mais il ne dit rien. Il se contente d’aller boucler le verrou, et d’éteindre le grand plafonnier, laissant seulement l’éclairage indirect de la lampe de bureau, qui pénètre à peine dans le labo photo. Il est face à moi maintenant, ses mains parcourant sans hâte mon dos et mes flancs frémissants, me regardant comme s’il voulait graver mon image sur la rétine de ses yeux. Alain a le regard sombre, presque noir. Je l’ai remarqué de longue date… mais Alain est d’abord un collègue de travail, et j’ai volontairement occulté ce troublant détail, qui prend maintenant toute son importance. C’est le même velours que sa voix, la même tranquillité que celle de ses mains chaudes, et ça m’affole… Je veux à mon tour sentir sa peau nue contre mes paumes, et je glisse sous la chemise. C’est un délice. Qui en appelle d’autres. Quand je lève le visage, il vient cueillir mes lèvres, les ouvre doucement du bout de la langue, et m’emplit la bouche d’une exquise friandise, ferme et moelleuse à la fois, tendre et curieuse des moindres sensations qu’elle peut éveiller. Il me possède déjà toute entière, et s’il s’arrêtait à cet instant, c’est moi qui le poursuivrais, jusque dans la rue, jusque chez lui, pour le goûter jusqu’à la dernière goutte. Mais il a l’intention de boire la coupe. Il passe doucement mon pull par-dessus ma tête, et dégrafe habilement la dentelle noire qui emprisonne ma poitrine palpitante. Je suis moins calme que lui, et les boutons de sa chemise se défendent férocement contre mes doigts malhabiles. Je sens mon souffle court, et mon cœur tambourine si fort qu’il me cogne à l’estomac. Il doit le sentir aussi, et quand enfin le dernier bouton se rend, il m’attire doucement contre son torse lisse, peau contre peau. Son cœur à lui bat plus lentement, mais fort quand même contre mon oreille. Je laisse mon souffle se calmer sous la caresse tranquille de ses mains dans mon dos, aspire l’odeur épicée de sa peau, soleil au milieu de l’hiver… Il faut prendre son temps, déguster chaque instant de cette heure imprévue et magique, et il sait attendre que le galop de mon cœur se calme avant de prendre possession de la chair qu’il a découverte, et de faire lentement remonter la pression… Caresser, lécher, mordiller, dévorer la pointe durcie de mes seins, m’y tenir au bord de l’extase, et puis me calmer de sa longue caresse. Me laisser à mon tour batifoler sous sa chemise, ôter l’étoffe, éveiller des frissons au creux des bras, le long des flancs, contre le ventre ferme, et vouloir plus encore. Là, miraculeusement, mes mains recouvrent toute leur dextérité pour déboucler la ceinture, et dépouiller sa virilité triomphante de tout attribut vestimentaire. Je ne sais pas comment j’ai fait, je ne sais pas comment il a fait pour ne pas perdre l’équilibre pendant que je le déshabillais, mais il est là, devant moi, offert tout entier à la convoitise qu’il a aiguisée de tous ces amuse-bouche… Ma bouche, justement… mais il m’arrête, il fait non de la tête, il prend la mienne entre ses mains et m’embrasse, rattrape mes mains au vol et m’enlace. « Pas si vite. Laisse-moi le temps, laisse-toi le temps… » Il ne veut rien déguster que je n’aie eu ma part, jusqu’à l’ivresse. Il dégrafe ma jupe, la laisse glisser au sol, me soulève pour m’en extraire, et me pose sur la paillasse, à côté des bacs qu’il écarte pour me laisser la place. De deux doigts délicats, il fait glisser ma culotte, mais laisse les bas… Il sait que la meilleure caresse est celle qui commence où ils s’arrêtent, pour converger lentement vers l’épicentre du plaisir. Il connaît ma géographie comme s’il n’avait connu que moi depuis toujours, et ses doigts, sa bouche font monter mes soupirs. Ses mains, son souffle, sont partout à la fois sur mon corps et je crois que je gémis, que je l’appelle.

Il murmure encore à mon oreille, mais cette fois, je ne l’écoute plus. Je saute à bas de la paillasse, pose mes deux mains à plat contre son torse et sens son cœur qui bat, un peu plus vite que tout à l’heure. Doucement je le pousse, l’appuie contre la porte, laisse glisser mes mains, ploie les genoux. Je veux que ce cœur là s’emballe, je veux de ma bouche faire crier la sienne, je veux goûter enfin ce fruit si doux et si tentant. Cette fois, il me laisse faire, emmêle ses doigts dans mes cheveux, dessine des arabesques sur mon crâne et me donne le tempo. Je prends le temps de bien le savourer. Je veux connaître exactement chaque millimètre de chair, savoir ce qui le fait frémir, ce qui le fait trembler. Je sens ses doigts se crisper dans mon cuir chevelu et je m’arrête, entre le fourreau mobile et la muqueuse gonflée qui palpite contre ma langue. Je sais qu’il veut durer, et je ne bouge plus. J’attends. Les mains solidement arrimées à ses cuisses. J’attends que ses doigts se dénouent. Qu’il me fasse un signe. Ou qu’il parle. Il choisit de laisser glisser ses mains sur mes épaules, et imprime une pression pour que je me relève. Je bouge doucement, déploie mes jambes un peu endolories. Il me regarde, intensément, et je me noie dans cet or noir… Il faut durer encore, que ce moment ne finisse jamais. Ses doigts ont repris leur course légère le long de mes bras et c’est bon. Il me serre contre lui et c’est bon. Il m’entraîne dans une valse lente en chantonnant dans mon oreille et c’est bon. Je ne sais plus quelle heure il est, je ne sais pas combien dure la danse, et ça n’a pas d’importance. Mais tout à coup, il m’empoigne sous les fesses, me soulève, et m’emporte, vers le bureau cette fois, sous la lampe, qu’il écarte à peine pour qu’elle ne nous éblouisse pas. « Je veux te voir. Ne ferme pas les yeux. » Il attrape mes jambes, fait glisser mes fesses jusqu’au bord du bureau. Son sexe dressé oscille à peine quand il s’approche. Le mien l’attend, il est prêt maintenant pour la dernière danse, et je pense à ce morceau de Led Zeppelin, qui commence comme un slow, et finit dans un rock endiablé… Je sens la chair vivante au-dedans de la mienne. Il me remplit lentement, il prend son temps, il fouille jusqu’au fond et cherche mon regard pour savoir jusqu’où il peut aller. J’acquiesce d’un battement de cils, et il recommence, à peine un peu plus vite, à peine un peu plus fort, sans me lâcher des yeux. Je ne sais pas ce qui est le plus excitant, de ce sexe qui plonge dans mes entrailles, ou de ce regard qui me fouille jusqu’au fond de l’âme. Je sais qu’il ne veut rien perdre, et je lui donnerai tout. Le bureau grince un peu sous nos assauts, alors il me soulève, me rapproche un peu de lui, mêlant plus intimement nos sexes et nos ventres, et je crois bien que je gémis. Il accélère, et je crie. Il ralentit, et je ris. Je ne sais pas combien de temps ça dure, combien de fois nous atteignons la lisière du plaisir. Je sais seulement qu’il lit dans mes yeux, ou peut-être dans la chaleur de mon ventre, à quel point exact se situe la frontière. Alors il me repose sur le bureau, et il attend, jusqu’à ce que je crie grâce et le supplie de m’emmener enfin jusqu’au bout du voyage, de s’y perdre avec moi… Sans me quitter des yeux, il me parle, il m’appelle à son tour, et nos voix se répondent. Je ne sais pas ce qu’elles se disent, c’est une sorte de langage inarticulé, d’onomatopées syncopées, mais je sais qu’elles se comprennent. Je ne suis pas au bout de mes surprises pourtant… Dans le dernier instant, quand enfin nous laissons la jouissance nous submerger tout à fait, alors que je crie sans plus me soucier de qui pourrait bien nous entendre, lui, il rit, il rit d’un rire joyeux qui m’éclabousse l’âme…

Nous restons longtemps enlacés, effondrés tout emmêlés sur la chaise du bureau qui nous a accueillis in extremis. Il faut un long moment pour reprendre notre souffle et nos esprits, nous étions partis loin. Peut-être même avons-nous somnolé dans les bras l’un de l’autre, pour ne pas cesser ce voyage… En tous cas, je sais que j’ai fermé les yeux.

Quand je les ouvre à nouveau, je sais qu’il est très tard… ou plutôt très tôt : la lumière blafarde qui fait pâlir la lampe du bureau annonce le jour naissant. Il faut partir. Alain me rhabille comme on habille un enfant. Je n’ai plus de force. Assez cependant pour aller chercher les photos restées sur le tapis de la glaceuse. J’interroge Alain du regard. Il sourit : « Ma collection personnelle. Constituée de longue date. Contrairement à ce que tu crois, tu ne fais pas que des grimaces !! Et ça fait très longtemps que tu ne me laisses pas indifférent… mais tu étais avant tout une collègue de travail ! » « Étais ? » Son sourire se crispe un peu. « Oui, tu sais que le journal traverse quelques difficultés financières en ce moment. Alors… compression de personnel. Comme je suis le dernier arrivé des deux photographes, je suis viré. Mon dernier jour, c’était hier… et tu es venue. Alors, j’ai osé… » « Merde ! » Alain ne me laisse pas le temps de m’appesantir. Tout en parlant, il a remis de l’ordre dans le labo, et il me pousse vers l’escalier. « Il faut partir. Les équipes du matin arrivent dans moins de vingt minutes. » Sans savoir comment, je suis déjà sur le trottoir, devant ma voiture. « Mais qu’est-ce que tu vas faire ? » « Je crois que je vais repartir à Lyon, j’ai un plan, en principe je commence la semaine prochaine, dans un studio de photos industrielles. Ne t’inquiète pas pour moi, je retombe toujours sur mes pieds ! » Il me caresse la joue, m’envoie un baiser qu’il souffle sur sa main, et tourne le coin de la rue. Quand je reviens de ma stupeur, je m’aperçois que je n’ai même pas son numéro de téléphone…

Toulouse - Septembre 2004

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