21.4.04

Contrat

Il est 18 heures 28 lorsque j’entre dans le grand bâtiment de verre et de marbre poli. J’ai rendez-vous à 18 heures 30, pour reprendre en détail le projet qui plombe mon cartable, et peut-être avoir la chance de signer le contrat.

Le client potentiel est un homme jeune, élégant, aux gestes mesurés, à la voix feutrée. Pourtant, la pointe acérée des canines que son sourire découvre, et l’éclair qui brille par instant dans son regard trahit l’audace et le tempérament guerrier. La ferme poignée de main dont il me gratifie lorsque la secrétaire m’introduit dans son bureau me rappelle, s’il en était besoin, que c’est lui qui décide, ou du moins qu’il le veut.

Je m’installe en face de lui. L’exemplaire broché du projet, dont je lui ai laissé copie la semaine dernière, attend sur le bureau vierge de tout autre document, annoté d’une écriture vigoureuse. « On va tout reprendre depuis le début. J’ai quelques précisions à vous demander. » « Allons-y, je suis là pour ça. » Je suis assez confiante, je n’ai rien laissé au hasard. Le montant du budget ne souffrait aucune médiocrité... et le commanditaire non plus. Il fait partie de ceux à qui on doit le meilleur... ou bien tourner les talons. Mais j’ai aussi l’âme guerrière, et l’adversaire me plaît. Il attaque tout de suite les points qui peuvent comporter une faille, même toute petite, qui pourrait tout faire voler en éclat. Son esprit est aigu, rien ne lui a échappé. Pied à pied, je défends le travail de l’équipe, prends le temps de démontrer par le menu la réflexion stratégique, la méthodologie, et le découpage budgétaire. Il m’écoute sans m’interrompre, fouille encore pour que je précise chaque détail, que j’argumente chaque raisonnement, que je justifie chaque parti-pris. Je n’hésite pas. Tant pis si mes choix ne sont pas les siens, tout est cohérent et le projet n’a de sens que dans sa globalité. Je ne vois pas le temps passer. J’ai le feu aux joues, et l’esprit en effervescence. La joute oratoire éveille tous mes sens et toutes mes ressources sont mobilisées.

Je ne remarque vraiment l’acuité de son regard qu’à la fin de l’entretien, alors qu’il referme tranquillement la couverture de ma brochure, gratifiée de quelques notes supplémentaires. Il décroche son téléphone, appelle sa secrétaire, puis se ravise en consultant sa montre, et tente le bureau de son associé. « Il n’y a plus personne... » Il marque un temps d’arrêt. Croise les doigts sur mon document. Plante son regard en plein milieu du mien. « De toute façon, votre projet me plaît. Il tient la route. Vous aurez le budget. Mais pour l’heure... vous êtes ma prisonnière, et personne ne vous délivrera, tout le monde est parti, et le veilleur de nuit a des instructions strictes. »

Un frisson parcourt ma moelle épinière. Je ne sais pas discerner s’il est d’inquiétude, de surprise... ou d‘excitation. Je ne baisse pas les yeux. Mes joues sont déjà cramoisies, et je ne crains plus qu’elles me trahissent. Je suis comme fascinée. Il n’y a rien à dire. Je comprends lentement de quoi il retourne, et je me demande seulement quelle mise en œuvre il a élaborée... De toute façon, j’ai perdu la main, ce n’est plus moi qui décide. Et tant mieux : je suis paralysée.

Cet échange de regards dure longtemps. En tous cas, il me semble interminable. Sans quitter mes pupilles, il se lève, contourne le bureau, fait pivoter la chaise sur laquelle je suis assise, et en installe une autre, volée à la table de réunion, juste en face de moi. Il prend mes mains, et me fait lever. Sans hésiter, il ouvre ma jupe, la fait glisser au sol. Dans la foulée, mon collant et ma petite culotte rejoignent mes chevilles. Il me rassied sur ma chaise, pour me débarrasser de mes chaussures, et amoncelle le tout sur son bureau, à côté de ma note. Ses gestes sont précis, et ses mains douces, mais sans tendresse excessive. Son regard et ses doigts semblent évaluer la chair qu’il découvre. Aucun sourire sur ses lèvres. Juste une petite crispation de la belle mâchoire carrée, et une grande concentration dans ses yeux. Là comme tout à l’heure, il ne veut rien laisser au hasard. Il est égal à lui-même, mesuré et respectueux, mais volontaire et sans faiblesse apparente.
Sans rien dire, il ôte à son tour sa ceinture, son pantalon, son slip et ses chaussettes, qui vont augmenter la pile sur le plateau de son bureau. Ses jambes sont longues et musculeuses. Son autorité me donne de l’assurance, et j’ose laisser remonter mon regard jusqu’à la hampe fière, orgueilleuse comme lui, et qui ne laisse aucun doute sur l’impression que je produis sur lui. Je pourrais me sentir humiliée, moi qui suis entrée dans ces lieux pour vendre ma matière grise, mais j’en suis plutôt fière, sans très bien savoir pourquoi.

Il s’assied en face de moi. « Vous méritez qu’on vous traite avec égard, et je ne veux commettre aucune erreur. Avant de poser les mains sur vous, je veux savoir comment vous les posez vous-même, comment vous prenez votre plaisir. Et je vous montrerai comment jaillit le mien. Ensuite seulement, nous pourrons tenter de le partager. »

J’ai dû baisser les paupières, et même me laisser aller à fermer les yeux tout à fait. L’idée me glace et me ravit à la fois. Moi qui ose à peine glisser la main dans ma culotte, dans le noir et sans témoin, quand l’énervement ne peut connaître aucun autre apaisement, il va falloir que je me livre, sous la lumière solaire de l’halogène qui baigne la pièce, et les yeux grands ouverts, sous le regard de cet homme que je ne connais pas et auquel rien n’échappe. Je ne me dérobe pas cependant, et esquisse même un sourire. « Alors, vous n’avez pas commencé comme il convient ! » dis-je en retirant ma veste et mon tee-shirt. Je n’enlève pas encore le tulle transparent qui couvre ma poitrine, parce-que j’aime le glissement des doigts sur l’étoffe, qui amplifie mes sensations. C’est là que tout peut commencer, puisque je suis pour le moment privée de tout baiser, qui constitue en principe la meilleure entrée en matière, le prélude préféré entre tous, celui qui déjà me dit tout de l’homme qui m’embrasse. Presque nue sur ma chaise, je laisse aller mon dos contre le dossier de cuir tiède. C’est presque aussi bon qu’une peau contre la mienne. J’effleure doucement les deux pointes brunes qui semblent goûter l’insolite situation, et sont déjà toutes réceptives. Tourner autour du bout d’un doigt, les frôler à peine de la paume ouverte, leur promettre seulement qu’elles auront davantage, les impatienter pour qu’elles réclament la caresse, le pincement léger, le torse de l’homme un peu plus tard...

Il couvre de ses mains son sexe érigé, mais ne bouge pas. Il me regarde, toujours avec la même intensité, la même concentration. Il n’y a presque rien de changé dans ses yeux par rapport à l’heure précédente, où j’argumentais mon travail.

Mes doigts glissent lentement vers mon ventre. Mon bassin bascule pour mieux s’offrir, à la caresse comme au regard si dense. La pulpe de mes doigts va chercher le nectar qui tapisse l’entrée secrète, et lentement j’en imprègne les lèvres frémissantes et gonflées, le bouton de rose impatient qui s’épanouit et se découvre, jusqu’à ce que tout mon sexe soit trempé, que le geste soit tout à fait fluide. A ce moment seulement, il empoigne sa verge turgescente, et commence à faire glisser ses doigts, au même rythme lent que les miens. Au dessin des muscles de sa main, je devine cependant la pression qu’il imprime. La mienne au contraire se fait légère comme un papillon, comme l’abeille qui butine. Explorer chaque pli, laisser glisser lentement les doigts, caresser les petites lèvres à l’intérieur et à l’extérieur, comme si c’étaient des pétales qu’on risque de flétrir. Contourner l’impatient, s’en approcher, faire semblant de lui céder, et repartir. Puis revenir encore et encore, avec la même lenteur, augmenter un peu la pression, et puis la relâcher. Mais toujours recommencer, jusqu’à lasser la main, parce-que lui ne se lasse pas, qu’il aime à déguster cette longue montée de la jouissance, dont le début est aussi délicieux que la fin. Chercher de la moiteur encore dans la muqueuse qui l’offre généreusement, explorer peut-être d’un doigt timide la paroi tapissée de soie, et qui voudrait maintenant le sexe de l’homme. Mais ce sexe là, pour l’heure, est malmené au rythme d’un rock endiablé, qui soudain s’interrompt et se transforme en slow, pour reprendre de plus belle. Mon désir est écartelé : combler la curiosité de mon regard, tenter de saisir ces subtilités qui m’échappent, sentir la tension de l’homme qui monte, mais cette tension accroît la mienne, et l’impatient réclame un peu plus de présence. Vaincue, je la lui donne, à peine un peu plus vite, à peine plus insistante, parce que c’est la douceur qu’il aime, et je laisse échapper un soupir. Si l’homme était en moi, sûrement, il pourrait sentir le spasme aller et venir comme une vague, l’étreindre d’une jouissance devenue irrépressible et dense... Ralentir le rythme et laisser encore glisser la main pour qu’elle dure, puisqu’elle n’est pas relayée par le plaisir de l’homme à l’intérieur de moi, qui prolonge le mien... Lui a presque arrêté son geste, on dirait qu’il se retient, sauf dans le regard, qui d’intense est devenu avide, cramponné à l’intérieur de mes cuisses.

Lorsque ma main s’arrête, la sienne s’affole, son plaisir éclabousse et sa gorge se plaint. Mon regard s’accroche tantôt au visage pâmé, tantôt à la main poisseuse qui brille dans la lumière, immobile maintenant, mais toujours refermée sur ce dont il a su faire l’objet de mon désir... Parce que c’est sûr, maintenant je le veux. J’attends seulement qu’il ait repris des forces, et qu’il veuille à son tour explorer de sa chair ce qu’il a vu de ses yeux...

Toulouse - Mai 2002



La photo d'Hugo est bien meilleure que mon texte...

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